Marie Sciboz, hydrographe au long cours :
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Dans le cadre du e-salon de l'Orientation et des Métiers qui s'est déroulé du 9 au 11 février, Normandie Maritime a recueilli le témoignage de Marie Sciboz, hydrographe et gérante de la société Cérès, sur la féminisation dans le secteur maritime. Marie nous apporte son regard sur l'embarquement des femmes à bord des navires au long cours.
Normandie Maritime : Marie, peux-tu te présenter ?
Marie Sciboz : je m'appelle Marie Sciboz. J'ai 32 ans et j’ai trois enfants. Je suis gérante de Cérès, société de recherche et d'expertise sous-marine, bureau d’étude océanographique basée à Montfarville.
NM : quel est ton parcours professionnel ?
MS : à la sortie de mes études à Intechmer à Cherbourg, j'ai été employée en tant que surveyor-hydrographe sur les navires câbliers de Louis Dreyfus armateurs. J’y ai naviguais pendant 7 ans sur un rythme 2 mois / 2 mois : j'embarquais pour deux mois avant d'être en congés les deux mois suivants.
NM : en quoi consiste le métier d'hydrographe ?
MS : l'hydrographie regroupe toutes les sciences appliquées traitant du mesurage et de la description des éléments physiques des océans, des mers, des lacs et des rivières. En pratique le métier d’hydrographe consiste en l’étude des fonds marins par différents outils. Cela peut consister par exemple à mesurer les profondeurs marines, ce qu'on appelle la bathymétrie, à étudier la nature ou la morphologie des fonds. L'hydrographie est très large.
NM : quels sont les débouchés ?
MS : l'hydrographe peut exercer pour des compagnies travaillant au long court comme les navires câbliers, de draguage, de relevés sismiques. Les bureaux d’études maritimes et environnementales ou encore les services publics tels que les grands ports maritimes, ou VNF, Voies Navigables de France proposent également des postes appropriés à des hydrographes. Toutes ces sociétés ont besoin d'hydrographes pour certifier leurs documents et les résultats présentés.
NM : la rémunération est-elle plus intéressante lorsque l'on est embarqué ?
MS : Dans le cas d’un hydrographe embarqué au long court, cela tourne autour de 3 000 € mensuels, selon les armements. C'est environ le même salaire qu'un cadre à terre, si ce n'est que le cadre va travailler toute l’année du lundi au vendredi de telle heure à telle heure, qu'il va ramener son téléphone chez lui le weekend, et devoir gérer ses projets sans discontinuer, avec cinq semaines de congés payés dans l'année, même si en théorie, il a le droit à la déconnexion. Le métier embarqué permet de condenser les périodes de travail sur le temps à bord et de disposer de six mois de congés où l'on est en coupure totale avec le travail. On est à fond pendant les deux à mois à bord, et à 100 % pour soi et sa famille quand on redescend à terre.
NM : quelle formation faut-il suivre pour être hydrographe et y a-t-il beaucoup de femmes à suivre les cursus ?
MS : avant, en France, seul le SHOM, le Service Hydrographique de la Marine, formait de véritables hydrographes avec un diplôme officiel. Depuis plusieurs années maintenant, il y a des schémas de certification en France via des associations francophones d'hydrographie (AFHy), ou via L'ENSTA Bretagne, qui permettent la reconnaissance de formations sans être passé par la Marine Nationale. Personnellement, j'ai suivi la formation d'Intechmer à Cherbourg. Le parcours dure trois ans pour obtenir un Bachelor océanographe et être considéré comme "technicien". Il faut ensuite se faire certifier en justifiant de cinq années d'expérience professionnelle. A l'ENSTA, le parcours dure cinq ans, pour sortir Ingénier, mais il faut simplement justifier de deux années d'expérience professionnelle pour être certifié. On trouve autant d'hommes que de femmes dans les formations mais le métier d'hydrographe n'est pas uniquement destiné à l'embarquement. La proportion de femme sur les navires au long court est de l’ordre de 10 % de la masse salariale.
NM : Quelle sont les difficultés du métier quand on est une femme à bord d'un bateau sur le long court ?
MS : cela peut ne pas convenir à tout le monde, surtout quand on a une vie de famille. J'ai trois enfants. Cela demande une bonne capacité de gestion mais ce n'est pas infaisable. C'est juste une organisation différente. A bord, on peut également être la seule femme, au milieu de 60 hommes. Il faut alors être sûre de soi, avoir confiance en ses capacités. Les hommes et les femmes ne réagissent pas de la même manière. Il faut savoir s'adapter et ne pas prendre tout au pied de la lettre.
NM : Les femmes embarquées au long cours est un fait relativement récent ? Quelle est la plus-value de la féminisation des équipages selon toi ?
MS : auparavant, il pouvait y avoir une ambiance de marins un peu rustres à bord. Le fait d'avoir une femme à bord fait changer les mentalités. La moyenne d'âge sur les navires est de 30 ans, les hommes se sont plutôt habitués à côtoyer quelques femmes à bord. Cela dit, le métier reste assez masculin car une fois que la femme a des enfants, elle préfère alors rester à terre. Il y a chez la femme une gêne à repartir. Cela ne choque personne qu'un homme parte en mer en laissant les enfants à sa femme. Quand c'est une femme, cela choque un peu tout le monde. Pour l'anecdote, les premières fois où j'ai embarqué après avoir eu mon premier enfant, la plupart des collègues que je rencontrais s'imaginaient que mon mari ne travaillait pas pour pouvoir garder notre fils ! La plus-value principale, est je pense la complémentarité. Les hommes vont avoir le sens de la synthèse, parfois un peu approximatif tandis que les femmes pourront être plus fines et précises. Les deux qualités complémentaires, sont essentiels à bord.
NM : comment se passe la navigation à bord ?
MS : au moment de partir, c'est vrai que c'est dur mais le plus difficile, c'est plutôt pour celui qui reste. A bord, dans le poste des officiers, on est plutôt bien loti. Chacun a sa cabine, on nous prépare à manger, le ménage est fait. Il y a des moyens de communication vers l'extérieur. La visio est un peu compliquée mais il reste le téléphone, et on peut aussi s'envoyer des messages. C'est comme une petite ville, il y a une salle de sports, de cinéma, des fois une piscine. On finit par s'installer dans une certaine routine où on alterne 12 heures de travail puis 12 heures de repos, c’est un peu comme si le temps s’arrêter autour du navire. Les deux mois passent vite, en fait. Après, avoir deux mois de libres à l'issue de l'embarquement, c'est un gros avantage.
NM : qu'est-ce qui t'a poussée à embarquer au long court ?
MS : il y a dans l’embarquement au long court trois aspects qui me fascine. D’abord l’attrait du voyage, tout en travaillant 7/7j, cela m’a permis d’aller dans des endroits où je n'aurais jamais pu aller autrement, comme ces tous petits villages perdus de Papouasie Nouvelle-Guinée, où à Taïwan que j'ai découvert et beaucoup adoré. J'y ai trouvé une culture très intéressante. Ensuite, la partie métier, hydrographe embarquée, est une manière tout à fait différente de travailler. On est sur une mission dans laquelle on s'investit à fond, et cela donne une autre dimension au travail. On creuse les sujets très intensément, puisque de toute façon, on est pour deux mois sur son lieu de travail. Et puis il y a le côté relationnel. On doit souvent se réadapter à de nouveaux collègues. On vit, on mange ensemble, cela crée des liens. Toutes ces rencontres vont probablement me manquer à terre.
NM : est-ce que tu recommanderais ce métier aux femmes ?
MS : oui, évidemment. Mais je leur conseillerais d'abord de bien se connaître avant d'embarquer. Il faut être sûre de pouvoir supporter d’être la seule femme pendant deux mois. Il faut également être capable de travailler avec tout le monde, s'adapter à la vie dans un espace retreint, et savoir gérer ses émotions. Sinon, cela peut devenir pesant et rejaillir sur tout le monde. Finalement, cela vaut pour tout le monde mais surtout il ne faut pas qu’être une femme soit un obstacle !